Résumé
Démocratie directe et représentation :
La désignation des gouvernants à Athènes
La démocratie athénienne a été mise en place afin d’empêcher certaines dérives et en particulier l’appropriation du pouvoir par une élite ou un tyran. L’outil principal en est la rotation des charges. Tout citoyen peut-être tour à tout gouverné et gouvernant.
L’alternance obéissance/commandement oblige les dirigeants à avoir fait l’expérience de l’obéissance, et, dans le cadre de son mandat, de se mettre à la place du citoyen, ou plutôt à sa propre place lors qu’il était ou qu’il sera à nouveau en position d’obéissant.
Pour permettre une rotation des charges juste et équilibrée, l’outil idéal est le tirage au sort. Par le biais de l’élection, on réélit toujours les mêmes personnes. Restreindre les mandats dans un principe électif va à l’encontre du principe de liberté fondamentale du choix. Le tirage au sort s’impose donc. Les responsabilités politiques confiées à des professionnels conduisent tôt ou tard à une position dominante si les citoyens ne s’impliquent pas. De plus, tout citoyen a les capacités de faire le meilleur choix pour lui-même en politique. La démocratie étant au service des citoyens, il est donc logique que les citoyens choisissent eux-même les règles qu’ils vont s’imposer.
La démocratie consiste à apporter le pouvoir suprême aux simples particuliers, aux citoyens ordinaires (hoi idiotai). Il s’agit ensuite de définir le tirage au sort dans le principe d’égalité soit arithmétique (égalité parfaite) soit géométrique (égalité proportionnelle). Le principe de base est que le tirage au sort sur la base du volontariat donne des chances égales à tous les citoyens d’exercer un jour un mandat politique ou de faire une proposition à la cité.
Même si le pouvoir était partagé entre différentes assemblées, la plupart des organes constitués partiellement ou entièrement de citoyens étaient tirés au sort, chose que l’on n’a jamais retrouvé dans aucun gouvernement représentatif de l’histoire.
En conclusion, le tirage au sort était au cœur du système politique athénien pour plusieurs raisons : rotation des charges, méfiance vis à vis de la professionalisation en politique et assurait une chance égale à tout citoyen d’accéder à la parole publique et aux charges politique.
Le triomphe de l’élection
Le tirage au sort n’était pas une singularité de l’antiquité. Il a été également utilisé dans les républiques italiennes du Moyen-Âge et de la renaissance. Rome, Venise ou Florence l’ont utilisées avec plus ou moins d’importance, plus ou moins de pondérations pour certaines charges, parfois en alternance avec l’élection. Sont ensuite exposés des exemples très détaillés d’utilisation du tirage au sort dans ces républiques, suivis d’une analyse des théories politiques de l’élection et du tirage au sort aux XVII et XVIIIèmes siècles.
Harrington fait la critique du tirage au sort mais fait l’éloge de la rotation des charges, ou plutôt d’un certain type de rotation, c’est à dire que dans un système électoral, les mandats consécutifs sont interdits, mais la réélections à mandats multiples à intervalles est autorisé… à la différence d’Athènes où on ne pouvait être membre de la Boulè qu’une fois dans sa vie.
Pour Montesquieu, le suffrage par le sort est de l’ordre de la démocratie, le suffrage par le choix est de celle de l’aristocratie. Le défaut du sort est qu’il peut porter des incompétents et des malhonnêtes à l’exercice de certains pouvoirs. D’où la nécessité de certaines règles correctives : le volontariat, la révocabilité en cours de mandat et la reddition de comptes en fin de mandat. Deux propriétés rendent le sort nécessaire dans une démocratie : il n’humilie pas ceux qui n’ont pas été sélectionnés (pas de jalousie aristocratique) et donne des chances égales à tous citoyen d’exercer un mandat politique. D’après Montesquieu, l’élection est l’outil parfait pour désigner les élites naturelles. Non pas au sens des valeurs universelles et objectives, mais au sens des valeurs personnelles, du statut social ou de l’héritage. Le peuple sait élire les meilleurs d’après certains critères, mais ne sélectionne pas nécessairement ni les plus talentueux, ni les plus vertueux, ni les plus méritants.
Pour Rousseau également il y a un parallèle entre tirage au sort et démocratie, et élection et démocratie. Pour lui, le peuple est souverain. La magistrature n’est pas un avantage mais une charge. Charge qu’on ne peut imposer (pour des raisons d’égalité) plus à une personne qu’à une autre. Le sort s’impose donc, celui-ci n’étant dépendant d’aucune volonté humaine. Les règles du pouvoir ne peuvent être régies que par la Loi, le peuple souverain ne peut pas désigner ses magistrats — le peuple étant à la fois législateur et désignant l’éxécutif, il y a conflit d’intérêt. Le tirage au sort résout ce conflit car le peuple n’est ainsi plus responsable de la désignation du pouvoir executif. Le sort règle un autre problème : la désignation de charges particulières en ne laissant pas interférer les volontés individuelles, sources de conflits, de rancœurs et de volontés de pouvoir. L’élection, cependant, est l’outil adéquat pour placer des talents particuliers à des postes particuliers à condition que ce choix soit dépendant de la Loi, et non que la Loi en dépende. Le risque est écarté lorsque la Loi est entre d’autres mains : celles du peuple. Les 3 écrivains politiques, Harrington, Montesquieu et Rousseau, voyaient les liens entre tirage au sort et démocratie, et élection et aristocratie. Or, peu de temps après l’élaboration de ses thèses par Rousseau, les évocations du tirage au sort comme outil politique se sont évanouies. Il n’en fût jamais questions pendant les révolutions françaises et américaines. On y débatait égalité et élargissement du suffrage, mais toujours dans le cadre électoral.
Dans tous les débats révolutionnaires, le tirage au sort n’était que très rarement, voire jamais, évoqué. Les Pères Fondateurs n’ont évoqué le tirage au sort que pour le rejeter. La mise en place des régimes représentatif véhiculait l’idée que le tirage au sort était devenu «impraticable». On n’envisageait alors le sort que pour de très petites structures, où tout le monde se connaît, où les fonctions politiques sont simples. Il est même avancé comme argument que pour que le tirage au sort soit efficace, il faut que tous les membres du corps politique soient rigoureusement égaux dans leur condition et leur culture. Techniquement, le tirage au sort aurait pu être praticable et envisagé, avec par exemple un tirage au sort à plusieurs niveaux, ou au niveau local, mais cela n’a même pas été discuté, ni envisagé.
L’absence de débat montre que ce ne sont pas les contraintes matérielles et techniques de la mise en place du tirage au sort qui sont responsables de son abandon, mais plus la volonté directe de mettre en place des mécanismes particuliers au service d’un certain type de représentation dominante concernant la représentation du pouvoir. Le principe fondateur des trois révolutions modernes (France, Angleterre, USA) est que les individus ne sont obligés que par ce à quoi ils ont consenti. Le citoyen doit alors se placer sous le pouvoir du gouvernement auquel il a consenti. Ce principe de consentement abroge tout simplement le tirage au sort puisque le sort n’implique pas consentement. Le sort n’est qu’un processus de sélection de l’autorité. L’élection à la fois désigne un représentant et, dans le même temps, fait office de consentement et d’engagement chez le désignant en légitimant le pouvoir du désigné.
L’élection est héritée de pratiques du Moyen-Âge et est liée au principe que ce qui touche tout le monde doit être considéré et approuvé par tous. Plutôt que le principe de «ce qui est voulu par tous est appliqué par le chef», cela a évolué en la volonté «d’en haut» doit être approuvé par «en bas». Le citoyen se retrouve donc non plus dans la position de responsabilité d’une charge, mais comme désignateur de celui qui aura la charge.
Principe de distribution
Il est établi que les fondateurs avaient pour volonté de faire en sorte que les représentants soient socialement supérieurs aux électeurs, qu’ils soient des citoyens distingués. C’est le principe de distinction.
Suffrage censitaire et principe de citoyens actifs(votants)/passifs(non votants) ont été des moyens mis en place pour restreindre le droit de suffrage à certaines catégories de citoyens, pour être sûr d’élire un certain type de représentant.
En Angleterre, par exemple, la limite était basée sur le revenu annuel de sa propriété. En France, il fallait payer une contribution égale à 1 marc d’argent, somme rabaissée à 40 jours de travail. Aux États-Unis, il n’y avait pas de restriction d’éligibilité, non pas pour des raisons de liberté, mais parce que les constituants n’ont pas réussi à trouver un accord sur les limites foncières à adopter. Aux États-Unis, les débats constituants portaient plus sur le principe de représentativité et la taille des assemblées que sur l’accès au cens. Madison souhaitait utiliser comme contrainte pour les représentants le fait de les soumettre fréquemment aux élections. Le peuple exercerait ainsi, selon lui, un contrôle étroit sur ses dirigeants. Au final, malgré le souhait d’avoir une représentation la plus proche, la plus ressemblante par rapport au peuple, ni les français, ni les anglais ou les américains ne doutaient de l’aspect aristocratique de l’élection.
Une aristocratie démocratique
L’élargissement progressif de la base des électeurs et l’abandon du cens apportèrent l’illusion que le gouvernement représentatif devenait de plus en plus démocratique. Dès lors, tout débat sur le côté inégalitaire et aristocratique de l’élection fût abandonné. Les paragraphes suivants traitent de l’analyse pure de théories du caractère aristocratique de l’élection. Sont traités la dynamique d’une situation de choix, les préférences de personnes, les contraintes cognitives, le coût de la diffusion de l’information et enfin la définition de l’aristocratie élective. La conclusion en est que l’élection ne peut pas, par sa nature, aboutir à la selection de représentants semblables à leurs électeurs. Par rapport au système féodal (héréditaire) ou dictatorial (élections orientée, suffrages limités), le système électoral à suffrage universel paraît plus égalitaire et démocratique. Le principe de l’élection devient la désignation de personnes ayant des traits particuliers à des charges particulières. L’élection apparaît alors de manière ambigüe à la fois aristocratique et démocratique. Le peuple tout comme les représentants y trouvent leur compte, et c’est peut-être une des raisons de la stabilité de ce régime.
Le jugement public
Dans le gouvernement représentatif, l’indépendance des représentants est garantie : pas de révocabilité, pas de mandat impératifs. Pour que l’opinion publique puisse se former, il faut que les gouvernés puissent avoir accès à l’information politique, et que cette information soit publiée. Ainsi, il ne paraît pas indispensable que toutes les étapes de la décision politique soient publiées, seulement certaines doivent l’être.
Il faut ensuite que cette opinion puisse s’exprimer à travers certains biais : liberté d’expression, liberté de la presse, liberté de religion, liberté d’expression politique… Des opinions dispersées ne seront pas entendues, mais rassemblée dans le cadre de pétitions, de manifestations, elles peuvent être prises en compte par le gouvernement. On aurait pu instaurer un droit d’instruction, qui aurait été la voix directe du peuple portant des propositions politiques concrètes aux dirigeants. Ceci étant considéré comme une contrainte trop importante, on utilise la contrepartie visant à considérer que la liberté de parole et de la presse sont suffisants. De plus, les expressions politiques de masse ne sont que rarement spontanées, mais portées par un petit nombre de citoyens vers un grand nombre. La liberté d’opinion publique distingue le gouvernement représentatif de la représentation absolue. Le dispositif central qui confére aux électeurs une influence sur le contenu des décisions prises par les représentants est le caractère répété de l’élection. C’est également un facteur qui pousse les gouvernants à tenir compte des avis des électeurs. C’est une des raisons pour laquelle le principe d’élection à vie n’a pas été retenu aux États-Unis, le régime représentatif donne la possibilité de renvoyer les dirigeants au terme de leur mandat si leur politique n’a pas été satisfaisante. Le vote contient alors deux aspects : l’aspect sanction et l’aspect approbation. En réalité, les représentants soumis à réélection sont incités à anticiper le jugement rétrospectif des électeurs sur la politique qu’ils mènent. Ce mécanisme laisse aux dirigeants l’essentiel de l’initiative politique au dépend des opinions du peuple. Dans son versant prospectif, l’élection n’est pas démocratique car les gouvernés ne peuvent pas contraindre les gouvernants à mettre en place la politique pour laquelle ils ont été élu.
On considère aujourd’hui le gouvernement représentatif comme un «gouvernement par la discussion». Il devient impératif de tenter de trouver l’accord et le consentement afin de dégager une décision par le biais de la majorité, et non par l’assentiment universel ou par rapport à la recherche de la vérité. Une mesure quelconque ne peut acquérir une valeur de décision que si elle a emporté le consentement de la majorité à l’issue d’une discussion. Ceci ne pose pas la règle de l’origine des propositions. Elles peuvent être de sources indifférentes. Les propositions édictées par le peuple ou par des technocrates ne sont pas discutées seulement, elles doivent trouver un consentement, peu importe le processus de discussion.
Métamorphoses du gouvernement représentatif
La représentation semble connaître aujourd’hui une crise dans les pays occidentaux. Depuis des décennies, un système stable semblait être en place : confiance en les partis politiques, logique de partis en correspondances avec les classes de population, reconnaissance des valeurs incarnées dans le parti et son leader. Après une longue période de représentation parlementariste, une désaffection dans les valeurs des partis semble faire glisser la démocratie de partis vers une démocratie du public où le choix se porte non plus sur un parti vecteur de valeurs suivies de génération en génération, mais vers le candidat qui semble le plus capable d’afficher sa différence par rapport aux autres candidats dans une conjoncture électorale manipulée, via les médias, par les candidats eux-mêmes. Ce glissement de comportement est accentué par les suffrages volatiles, les votes en réaction à un candidat, une polémique, une déclaration, un fait divers.
Postface (2012)
La postface de l’édition de 2012 analyse l’érosion des partis et la croissance de la participation politique non institutionnalisée (ONG, pétitions, militants, activistes, occupations, grèves, …) et montre que le régime représentatif, avec tous les défauts qui le caractérisent, est assez versatile pour évoluer dans le sens qui lui permettra de conserver le juste niveau de transparence et d’équilibre nécessaire à sa survie.
Critique du livre Principes du Gouvernement représentatif de Bernard Manin Par Merome
Voilà un livre que je n’aurais jamais acheté si Etienne Chouard ne passait pas son temps à en parler dans ses conférences comme d’un bouquin majeur permettant de comprendre la supercherie de l’élection.
Sorti initialement en 1997, réédité en 2008 puis à nouveau en septembre 2012, le petit livre jaune semble connaître un vif succès malgré un titre parfaitement rebutant le réservant aux spécialistes et aux universitaires.Je l’ai donc lu en m’accrochant car, contrairement peut-être à ce que laisse entendre Chouard, c’est quand même réservé à un public averti. C’est dense, c’est vaste, c’est fouillé, très intéressant, mais très peu accessible car très peu engagé. N’y allez pas chercher une critique implacable du gouvernement représentatif ou un plaidoyer pour le tirage au sort, même si Bernard Manin aborde ces sujets en long et en large, à travers les époques et dans plusieurs pays.
Le bouquin retrace l’histoire du gouvernement représentatif, depuis sa création au 18ème siècle en opposition à la démocratie. C’est la chose essentielle qu’il faut retenir : le modèle politique que nous connaissons aujourd’hui a été pensé, voulu, défini pour ne PAS être démocratique. C’est seulement ensuite que nous nous sommes mis à appeler abusivement démocratie ce modèle politique. Bernard Manin le démontre bien, en multipliant les citations et en s’étonnant lui-même de la disparition totale d’autres modes de sélections que l’élection pour choisir les représentants. Alors qu’au début du 18ème siècle encore, de nombreux penseurs évoquaient le tirage au sort, pour l’encenser ou le critiquer, un siècle plus tard, plus personne n’en parle, ni en bien ni en mal !
L’élection s’est donc imposée naturellement, malgré ses défauts connus, et parfois parce qu’elle avait ces défauts, qui n’en étaient pas pour ceux qui étaient en mesure d’accéder au pouvoir par ce biais.Bernard Manin explique ensuite en quoi l’élection ne peut pas être considéré comme entièrement démocratique, car elle présente à la fois des caractères démocratiques et non-démocratiques. En effet, c’est le peuple tout entier qui choisit ses représentants, et en cela, l’élection est démocratique, mais le mode de sélection induit en lui-même un caractère parfaitement anti-démocratique car il permet de sélectionner théoriquement les meilleurs, c’est à dire des personnalités qui ont une différence notable avec le reste de la population. Le critère permettant de définir qui est le meilleur étant par ailleurs variable mais pratiquement toujours détaché des compétences attendues d’un véritable démocrate. Le meilleur représentant serait en effet celui qui est capable d’entendre le peuple pour le représenter, d’arriver facilement au consensus, de ressembler au peuple… Au lieu de cela, l’élection tend à favoriser les candidats qui communiquent avec talent, ont accès aux médias de masse, des notables bien différents des électeurs.
Chacune des démonstrations théoriques de Manin nous évoque un exemple flagrant des dysfonctionnements de l’élection. Les récents événements survenus à l’UMP sont un cas d’école. Comme le résume habilement le philosophe Alain : Les gens bons ne veulent pas du pouvoir. Autant dire que les pires gouverneront.
Bernard Manin se garde bien de conclure qu’il faut jeter ou garder l’élection, il se contente de citer les travaux de nombreux universitaires ou philosophes qui ont mis en évidence les limites de l’élection, et de montrer tout ce que le gouvernement représentatif n’est pas, à commencer par une démocratie.
En conclusion, l’ouvrage est intéressant pour sa neutralité et sa rigueur, mais il ne m’a pas passionné, hormis quelques passages qui semblent exhiber des évidences effacées par deux siècles de propagandes pro-élection. Si vous n’êtes pas convaincu que l’élection pose problème en elle-même, ce n’est pas ce bouquin qu’il faut lire en premier, sauf si vous êtes allergique aux propos un peu engagés. Tournez-vous plutôt dans ce cas vers un vulgarisateur qui vous épargnera cette lecture exigeante.
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